Les Inepties volantes / Dieudonné Niangouna & Pascal Contet / Théâtre / Composition
« Traverser la ville, les villages et les forêts bordées de fleuves et d’intempéries, regarder ses pieds et ce que les chemins en ont fait, ses guenilles et ses mains malhabiles qui gardent des lignes inertes vidées de leur scapulaire, jamais plus elles ne sauront où vont-elles, et avoir un cerveau tué par la marche, une bouche qui à l’endroit où tombe le silence forcé et la palabre des typhoïde déploie ses inexorables sottes de peur tout à fait disjoncté par le circuit lassant de la réflexion et la pensée qui se casse les couilles, tu regardes le monde avec des yeux pleins d’erreurs et tu trouve que toute chose a un trou parce que l’opacité baille, puis tu te surprends à sentir le-froid-le-chaud qui te disent que t’es vivant encore, on s’arrache les cheveux qu’on devait crever déjà, et on a honte d’en parler quand on pense que les courageux sont tous morts, ceux qui survivent ont baissé leurs culottes, et de toutes les façons la vie si elle ne te donne pas envie de flinguer quelqu’un c’est que tu prends toujours l’autoroute en sens inverse, je m’étais juré de ne pas en parler, de ne plus en parler, de faire simplement des gosses comme on plante des cacahouètes, un jour leur apprendre que la réelle différence entre le pain et la carabine c’est juste une question de paspalum, puis là je fais ben non, si les choses sont interdites c’est pour qu’on les connaisse, du coup, cette ineptie qui traite des barricades au sens dépourvu du réel, parce que le réel c’est ce qu’on m’explique mais jamais ce qui m’est arrivé à moi, ma vie est une fiction et je n’en suis même pas l’acteur, non, c’est dans la vie des autres que joue, c’est donc pas de peindre les barricades dont il est question, ni poser une réflexion autour, surtout pas croire que je vais vous faire un film de guerre, déjà qu’une guerre ça ne se raconte pas à moins d’être imbécile, c’est-à-dire suffisamment prétentieux pour se fourrer dans le pétrin, non, à la base je voulais me souvenir de ce qui s’est passé pour que je sois encore en vie et non de comment, suis pas dingue pour croire qu’il y a une artifice qui s’appelle le bol et qui fonctionne sur mode d’emploi avec plutôt un mécanisme typiquement cartésien, moi je voulais photographier le cœur de la bête, l’instant crucial où je mourrais à chaque fois sans disserter autour ni grapher une légende en bas de la toile, quelque chose de sans esprit, quelque chose de sans étude, une java de tableaux sauvages balancés à je ne sais combien d’images par secondes, rien que ce que mes yeux ont bu, et heureusement que ma mémoire pas certaine justifie sa parano, ce qui fait que la vérité ou le mensonge dans cette histoire j’sais pas où ça pionce, et suis content que ça ne tienne pas comme un document.
Suis même pas vrai, comment voulez-vous que mon histoire le soit ? »
Dieudonné Niangouna
Historique - Dieudonné Niangouna
« En mars dernier Marie Agnès Sevestre m’a demandé de rencontrer Pascal Contet pour savoir s’il y avait une possibilité de créer ensemble un objet théâtral et musical à la fois.
Je suis un auteur de théâtre, metteur en scène et comédien, c’est déjà trop pour ajouter que j’habite Brazzaville, et Pascal Contet c’est Pascal Contet. Il est accordéoniste et français de nationalité, c’est important pour moi de souligner d’où viennent les gens qui ensemble vont créer une énergie artistique à véhiculer aux spectateurs.
En avril je rencontre Pascal Contet à Paris, alors que je jouais Attitude Clando aux Rencontres de la Villette, il est venu voir. Tout de suite le besoin de travailler ensemble se déploie le long de la première rencontre physique et émotionnelle. Il sortait de mon spectacle et je rentrais dans le sien, écoutant sa musique et ses images : concert, spectacle, ciné-concert, sur des supports de qualité, tout une furie d’expérience qui me laissait tenter le coup, d’où le besoin fit place à la nécessité, et “tenter” ne devint plus le verbe en question.
J’ai dit à Pascal que j’aimerais bien travailler sur Les Inepties volantes. Bien évidemment qu’il a écarquillé les yeux. Personne au monde ne connaissait ce texte à part ma décharge et moi, nous en étions les seuls auteurs et le sommes définitivement au présent.
Les Inepties volantes est un recueil écrit et censuré par ses auteurs pour des raisons d’excès de hargne et d’absence de distance. Le spectateur où celui que j’appelle le lecteur vivant doit avoir le pare-chocs collé au nez et le flingue sur la tempe, il se fera mal à chercher le sens. Le texte est un cerveau en vrille, vous pouvez frapper dur à coup de marteau, il ne deviendra jamais tendre, vous comprenez de quoi je parle. Alors, dans ce tas d’inepties, quinze au total, j’aimerais travailler sur une, elle porte comme titre Les Barricades. J’aime bien, ça a l’air joyeux. Pascal a pris le texte avant de disparaître sur sa bicyclette en descendant Jean Jaurès. »
Dieudonné Niangouna
Interview - Pascal Contet
Pascal, tu as l’habitude de composer pour des chorégraphes. Cette fois, c’est pour un auteur. Ton approche a-t-elle été différente ?
L’approche musicale vers le mouvement chorégraphique est différente de celle du verbe ! je n’ai à vrai dire pas mis les aspects en contradiction mais me se suis servi des expériences passées auprès de Odile Duboc, Fattoumi-Lamoureux, Susan Buirge et autre plus récente de Mie Coquempot. Quelles expériences ? celles de l’indicible, de l’invisible ? de la sensation éprouvée, du corps qui parle, s’essouffle ou dégage une énergie. Travailler avec Dieudonné Niangouna relève de cette énergie de dialogue, de récit l’un vers l’autre, de ne pas être sur ou sous mais avec.
La question qui se pose est celle bien évidente d’un non soutien de la musique vers le texte ou le contraire, mais se résumerait presque à une avalanche d’informations qui se transforment en différentes façons de laisser ressentir le sujet : celui de la guerre, de la destruction, de l’ignoble, du cruel mais aussi de la drôlerie décalée d’un monde abject !
L’approche a donc été celle du découpage et des parties naturelles dans lesquelles la musique peut être le miroir nécessaire au silence des mots ou de leur violence. Celle aussi du « no man’s land » entraîné par deux aspects de l’art qui souvent se côtoient mais ne dialoguent pas forcément. Dans notre projet de rencontre, il est clair que nous ne voulons pas de musique « décorative », elle doit être partie prenante du texte et signifier l’indicible. L’irréfléchi dans le sens le plus noble du terme.
La force de frappe des mots et le rythme que Dieudonné leur donne a été propice à des échanges fructueux. Le verbe de Dieudonné ouvre des perspectives à des découpages savamment étudiés et qui (très intéressant) laisse la place à la liberté d’action de chacun. Tel un duo de musiciens improvisateurs.
Nous avons travaillé sur l’interaction et sur une matière sonore faite de mots et de sons et comptons bien poursuivre dans ce sens entre autres diversités.
Pour mener à bien ce projet, tu t’es rendu sur le terrain à Brazzaville. Qu’attendais-tu de cette première expérience de travail en Afrique ?
C’était en effet la première fois que je mettais les pieds sur le sol africain et particulièrement celui du Congo Brazzaville. Je ne m’attendais à rien car ouvert à tout ! la principale angoisse était d’abord celle de l’articulation et de l’ approche artistique à donner dans ce texte intime qui relate les guerres civiles vécues par son auteur. Et donc par le peuple que je découvrais.
Est-ce que finalement le fait d’avoir vécu de tels déchirements n’allait pas altérer le regard d’un autre partenaire situé, lui, dans un contexte du quotidien plus « normalisé », je veux dire par là de quelqu’un qui vit en France ? et n’a jamais vécu de tels faits ? mon for intérieur m’a dit autre chose…
Pascal Contet, 30 septembre 2008
Récit - Pascal Contet
Si j’ai accepté de collaborer autour des Inepties volantes de Dieudonné Niangouna, c’est parce que au-delà des faits réels subis, de l’atrocité avouée, il en est d’autres que nous vivons à un moment donné de nos vies. Relater l’intime sur une scène relève de l’impudeur pour ceux qui en sont les acteurs et pourtant un jour ou l’autre, il est de leur devoir de témoigner de la manière dont ils ont pu se reconstruire face à l’inavouable envie d’oublier.
Ayant vécu à la même période (1997) une déchirure énorme, inoubliable, un froid matin automnal, celle d’avoir repêché seul puis posé sur la rive, le corps de ma mère qui avait préféré nous quitter, j’ai immédiatement reconnu dans les phrases de Dieudonné celles de la pudeur, du récit presque froid (dans les deux cas précités, les psychiatres parlent d’être en état de choc de guerre !), distancé ou décalé et surtout senti la déchirure intime occasionnée. Sans pour autant partir dans un pathos inutile… nos pudeurs toujours !
Mais la survie se révèle dans un désir immense et une force intérieure à continuer malgré l’horrible vécu. Porter témoignage ?
À ce moment, Dieudonné, attablé à une table de bistrot près de la Villette, moi, dans mes pensées face à ce qu’il me raconte, je me suis dit que nous avions un passé douloureux dans des histoires non communes et dans lesquelles nous puisons finalement une énergie positive, une rage ou une révolte alors qu’il aurait été plus simple d’abdiquer parfois.
La question qui se pose finalement est celle de la reconstruction et non pas le simple fait de relater des évènements de guerre. L’art aide à transcender ses peurs et ses désirs qu’il s’agisse des mots ou des sons.
Pour revenir sur le travail à Brazzaville, j’ai demandé à Dieudonné de me montrer ses endroits, les noms, villages, quartiers et autres routes diversement nommés dans son texte. Si les trois premiers jours ont été ceux de l’expérience commune, deux types qui se rencontrent, musique et texte- on montre le résultat et voilà ! je dois avouer que partir le lendemain pour deux jours avec Dieudonné sur les traces de ce passé particulier ont été les plus riches, les plus intenses, les plus imaginatifs que j’ai jamais vécus. Traverser la région du Pool, aller à Kinkala, la région qui a connue les pires atrocités, celle où Dieudonné s’était laissé enfermé sans le vouloir, essayant d’échapper comme des milliers d’autres à la folie meurtrière – nous nous sommes arrêtés là car ensuite rentrer dans la forêt tropicale devenait impossible « temps normal de paix » et pourtant la plupart des réfugiés comme Dieudonné à l’époque n’ont eu que cette solution pour tenter de survivre.
J’avais besoin d’entendre et de « voir le récit », j’allais écrire « tenter de le vivre » mais non c’est impossible – au moins l’imaginer, décor naturel à l’appui !
Maintenant il nous reste à continuer sur le chemin de la recherche entre les mots, les sons, les non-dits… j’ose à peine dire « prochain spectacle », ce serait trop banal et peut-être une offense vers ceux qui se battent pour leur liberté et leur vie. Plutôt suite au prochain rendez-vous et partage…
Pascal Contet, 30 septembre 2008